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                                                                                  Sur le sable

 

 

 

 Julien ne viendra pas!

 

Le sapin clignote et abrite à son pied mes cadeaux et ceux des enfants. Ils ont cassé leurs tirelires pour en offrir un à leur père et moi.Les deux enfants sont accrochés à la fenêtre pour guetter leur papa qui n’arrive pas. Je suis triste pour eux car je sais qu’il ne viendra pas pour passer cette soirée de Noël avec eux. J’étais même prête à les laisser entre eux pour ce soir!

Julien et moi nous sommes séparés il y a un peu plus d’un an. Il n’était déjà pas venu au Noël précédent et la soirée avait été fort difficile quand il m’avait fallu donner une explication aux enfants. Le cadeau de leur père était resté quelques jours au pied du sapin, avant qu’ils ne renoncent et le rangent dans leur chambre avec l’espoir qu’un jour il passe les voir.

Pour moi, cette première année avait été fort tourmentée. Je n’avais pas d’emploi au moment de son départ, donc pas de revenus à part le petit capital laissé par mes parents à leur décès, et qui avait vite fondu. Et puis un jour j’avais eu le plaisir de découvrir qu’un virement régulier était fait sur mon compte, pas bien important, mais suffisant pour nourrir et habiller la petite famille. Julien n’était pas un mauvais homme, c’est d’un coup de tête qu’il était parti vivre au Canada où tout était mieux disait-il et surtout ne se sentant plus à même d’assurer sa vie familiale et d’élever les enfants. Il était en pleine déprime. Cédric avait alors 12 ans et Juliette 14. Les deux enfants avaient fait front, se soutenaient l’un l’autre et m’aidaient beaucoup dans notre vie de tous les jours. Ils se faisaient forts d’avoir de bons résultats au collège et il est vrai que c’était, et que c’est toujours, un souci de moins pour moi.

Il est 21h, les enfants sont déçus et tristes et ce n’est ni mon regard ni mon attitude qui vont les consoler. Je décide de passer à table et de remettre de la lumière dans notre soirée. Le sapin clignote de plus belle par instants. J’apporte la jolie dinde rôtie avec ses marrons, les enfants laissent échapper un hmmm de satisfaction. Je me sers un bon verre de vin rouge soigneusement choisi par le caviste voisin pour accompagner le festin, les enfants restant fidèles à leur soda préféré, un grand cru probablement également. Les sourires s’affichent, l’appétit est là, Cédric demande à quelle heure on fera les cadeaux. L’ambiance est de nouveau chaleureuse.

Puis c’est au tour de la bûche au chocolat de trôner sur la table. Les yeux brillent, les langues donnent un signe de plaisir. Quatre yeux restent fixés sur les paquets, pas de risque qu’ils s’envolent ou que l’on nous les vole sans que l’on s’en aperçoive.

Le réveillon terminé, les enfants ne tiennent plus en place, je décide de l’ouverture. Cédric se précipite sur un gros paquet allongé, arrache le papier que j’ai mis un temps fou à mettre et déchire le carton qui contient la jolie trottinette électrique dont il rêve pour aller au collège. Vu l’excitation je ne suis plus bien sûre tout à coup d’avoir fait le bon choix. Il découvre également le casque qui va avec, puis sa BD préférée. Juliette est plus patiente et enlève tranquillement les nœuds et scotch, cela en est presque énervant. C’est son premier téléphone portable pour faire comme les copines et pour que je puisse la joindre plus facilement. Je sais qu’elle rêve aussi d’appels de son père. D’une jolie enveloppe rouge elle sort une carte cadeau pour s’acheter des vêtements.

C’est à mon tour. Les enfants me scrutent et marquent de l’impatience en me regardant enlever le papier. C’est pour papa et toi me disent-ils, alors comme papa n’est pas là c’est que pour toi!

Un appareil photo numérique !

Ça te fait plaisir ? dit Juliette, tu vas jouer avec ? ajoute Cédric

Tu sais nous on a choisi un appareil photo pour débutant mais avec quand même un super objectif et un zoom au top ! c’est le vendeur qui l’a dit. Et tu pourras le brancher sur l’ordinateur pour enregistrer les photos. Cédric est tout fier de m’annoncer ça, je ne sais pas ce que ça veut dire mais ça m’a l’air bien important.

Tu veux savoir le prix ?

Non, c’est un très beau cadeau qui me fait vraiment plaisir et votre père aurait trouvé que c’est une excellente idée. On va se faire des albums et on enverra aussi des photos à papa. Et bien, dis-je, je propose que dès demain nous allions à la plage essayer la bête. Et maintenant tout le monde au lit !

Je n’arrive pas à m’endormir Je suis à la fois heureuse de cette soirée, triste que Julien ne soit pas venu. Je sais très bien que même s’ils font bonne figure les enfants sont très déçus.

C’est un rayon de soleil au travers des volets qui me réveille, j’ai bien fini par m’assoupir. Pas un bruit dans la maison, les enfants dorment. Je me lève pour me faire un café, je m’assois pour profiter de ce moment de lumière dans le jardin. J’allume le sapin pour donner une touche de gaité supplémentaire. L’appareil photo semble m’observer et me demander de le prendre. Juliette entre dans la cuisine, déjà habillée et quasi prête à partir, ne manque que son manteau. Elle est suivie de près par Cédric encore dans ses rêves, lui aussi habillé de son jean et d’un pull à l’envers, et les cheveux complètement en bataille. Je les embrasse et les serre dans mes bras. J’ai de la chance de les avoir tous les deux.

Les bols de céréales et de chocolat chaud engloutis, je leur propose que l’on file vers la plage, profiter du soleil pour faire des photos. 15 mn de voiture suffisent pour se garer sur le parking de la falaise. Nous descendons le chemin, c’est marée basse, la plage est découverte sur des kilomètres. Un couple se promène et un chien court après les mouettes en aboyant. Elles s’envolent affolées. Je prends l’appareil dans mon sac, appuie sur « on », l’objectif sort automatiquement, et je commence à manœuvrer et découvrir les différentes possibilités de zoom. Tous les réglages sont automatiques, c’est parfait pour moi. Les enfants ont ramassé des bois flottés et font des dessins sur le sable : « joyeux Noël papa», « joyeuses fêtes tout le monde ». Je monte sur un rocher afin d’être un peu plus en hauteur pour photographier ces œuvres d’art. Puis je demande aux enfants de se rapprocher et de sourire pour immortaliser ce joli souvenir. Le chien s’est approché et vient renifler mes deux ados, sous les appels du couple promeneur dont il n’a rien à faire. Clic clac c’est aussi dans la boîte. Puis on file vers la mer afin de la longer et prendre le grand air. Je photographie les vagues qui viennent mourir sur le sable mouillé.

De retour à la maison, je glisse la carte de l’appareil dans l’ordinateur. J’ouvre les photos. Magnifiques ! J’enregistre celle des deux enfants et le chien comme écran d’accueil. Les enfants me demandent celles de leurs dessins, je leur envoie sur leur adresse mail. Juliette en veut une par sms pour inaugurer son téléphone. Le déjeuner est fait des restes du réveillon, les enfants sont joyeux, je le suis aussi en les regardant. Cédric veut aller sur la promenade de bord de plage pour essayer sa trottinette. Nous irons cet après-midi, ce sera l’occasion de nouvelles images.

Le lendemain Cédric propose de retourner en bas de la falaise, dessiner un « bonne année » et d’adresser la photo par mail et sms aux copains, copines, amis, oncles, tantes et cousins et à papa. Super idée ! Nous voilà repartis appareil photo en poche. Les enfants font des essais et finissent par se rapprocher de la mer. Avec Juliette on va écrire « au revoir 2017 » et plus haut « bonne année 2018 » Tu prends la photo et ensuite tu attends que la mer en remontant efface en partie « au revoir 2017 ». Génial ! Je mitraille pour être sûre d’avoir toutes les étapes. Je vais faire une sorte de double vue avec le « au revoir 2017 » qui s’efface, et le « bonne année 2018 » qui reste seul.

Sur l’ordinateur la lumière éclaire magnifiquement les petites vagues qui roulent et remontent doucement par à-coups. Je sélectionne les deux plus belles photos et les envoie aux enfants pour savoir ce qu’ils en pensent et puissent les envoyer à leur tour. Les enfants passent la soirée sur leur ordinateur à envoyer leurs messages de bonne année , puis guettent les réponses.

En milieu de soirée, Cédric saute de sa chaise en hurlant « maman » !

Que se passe t-il Cédric ?

Maman, j’ai mis les deux photos sur » instagram » et il y a quelqu’un qui demande l’autorisation de les imprimer pour les diffuser. Il veut qu’on l’appelle.

Fait voir !

En effet le message est très clair et se termine par un numéro de téléphone. Je fais à nouveau une mauvaise nuit me demandant que faire.

Le lendemain matin je prends le papier sur lequel j’ai noté le numéro et j’appelle. Petite musique d’attente, une jeune femme décroche, « société photocarte  j’écoute ». Une société ! -Bonjour, je vous appelle car vous m’avez laissé un message hier sur instagram concernant des photos que j’ai réalisées.

Ah je pense que c’est Mr Dequesne qui vous a appelée. Je vous le passe. Mon cœur bat la chamade.

Bonjour, Thomas Dequesne me dit une voix chaleureuse. J’ai vu vos photos sur instagram en effet, ce sont bien des originales ?

Oui c’est bien moi qui les ai faites.

Je connais bien la plage où vous êtes allée, c’est à une vingtaine de kilomètres de mon entreprise. J’y vais de temps en temps l’été. Voilà, j’ai une petite société d’édition de cartes, et votre idée m’intéresse. Je souhaite avoir votre autorisation pour éditer une double carte de vœux avec les deux photos. Je vous propose donc soit de vous les acheter soit de vous verser des droits d’auteur sur les ventes. J’en édite environ mille. Elles sont distribuées dans les librairies et papeteries. Il me faut une autorisation immédiatement pour pouvoir imprimer et livrer tout début janvier.

Je choisis les droits d’auteur.

Je vous adresse un contrat en bonne et due forme. Je lance l’impression, il faut que vous me fassiez confiance pour ne pas perdre de temps et que je puisse lancer l’impression dès aujourd’hui..

Quand je raccroche, je suis interloquée, mais heureuse. Dès le lendemain je reçois le contrat promis que je signe et retourne. Quelques jours plus tard, Thomas Dequesne me rappelle.

J’ai une proposition à vous faire. Je souhaite réaliser des cartes de joyeux anniversaire avec le prénom de la personne. Je vous propose de réaliser des photos de ce texte gravé dans le sable, avec une cinquantaine de prénoms les plus courants.J’indiquerai également sur le site de l’entreprise que l’on peut réaliser les cartes avec les prénoms à la demande.

De la même façon je vous adresse un contrat si vous en êtes d’accord avec la liste des prénoms.

Je reste muette.

Allo ?

Oui excusez-moi je réfléchis, je ne sais pas quoi dire, mais d’accord, d’accord !

Bon et maintenant je fais quoi ? Les enfants reprennent l’école lundi, il faut que j’achète le petit guide des marées 2018 afin d’organiser mon planning photos. Quand je raconte ça aux enfants, ils sautent de joie, veulent que je fasse les photos le mercredi et les week-end pour être avec moi.

Quand je reçois les premiers droits d’auteur sur les cartes de vœux, je me rends compte à quel point j’ai trouvé l’activité qui va me permettre d’améliorer largement le côté financier de notre vie. C’est ainsi que chaque jour qui passe, à marée basse, si le soleil pointe bien son nez, j’écris des messages de joyeux anniversaire sur le sable, et un prénom pris dans la liste que j’ai reçue. Il me faut bien une quinzaine de jours pour boucler la commande, deux semaines passées à graver mes mots sur le sable, grimper sur un rocher, prendre deux ou trois photos pour avoir le choix de la meilleure, et envoi immédiat à Bruno Dequesne pour impression.

C’est en passant à la librairie du village que je vois le premier tourniquet de mes cartes signées « Laura H ». La classe !

Et l’histoire ne s’arrête pas là. Les idées de Bruno Dequesne sont nombreuses pour ne pas dire infinies et lorsque qu’il m’appelle ce lundi, c’est pour m’inviter à venir le voir dans sa petite entreprise. L’occasion de faire connaissance après tous nos échanges par téléphone, courrier et mail. Quand j’arrive devant le petit bâtiment, une grosse Audi , deux Clio au nom de l’entreprise et une camionnette sont garées devant. Je suis accueillie par celle qui m’a probablement répondu lors de mon premier appel. Jeune, jolie, elle est plongée dans des feuillets de comptabilité, son bureau jauni de post it. Bruno Dequesne, se précipite pour me saluer, grand, la quarantaine, la voix au téléphone est en parfait accord avec le personnage. Un bel homme souriant. L’entreprise n’est pas très grande. Une personne est devant un ordinateur. C’est le graphiste m’explique Bruno Dequesne, c’est lui qui traite les photos, les met en page avec le texte, et assure la composition, qui est adressée aux deux grosses machines que vous voyez là-bas où une autre personne surveille la sortie des cartes, qui filent sur un petit tapis. Elles sont ensuite rangées dans des cartons pour l’expédition vers 300 librairies–papeteries et quelques grandes surfaces. Sur notre site j’ai même des demandes de français à l’étranger.

Pendant le déjeuner nous parlons voyages, passions, sport. Il me dit que compte tenu de son travail et ses déplacements, il n’a pas encore fondé de famille mais qu’il y pense. Je reprends la route avec la date d’un nouveau rendez-vous pour écrire la suite de notre aventure professionnelle et partager de nouvelles idées. Il me plaît bien ce Bruno !

Mes droits changent complétement notre vie. Je peux continuer à aménager la maison, offrir des vacances aux enfants, et les activités dont ils rêvaient. Cédric fait du Cheval, Juliette prend des cours de piano, j’en ai même acheté un d’occasion.

Ainsi passent les premiers mois de 2018.

En ce premier matin d’avril, Bruno m’a appelée pour me proposer de m’associer avec lui. Mes photos sont aujourd’hui très largement diffusées sur les réseaux, et les idées sont nombreuses. Sa nouvelle proposition  est d’acheter un drone pour gagner en qualité et permettre de développer de nouvelles idées. Je vais faire un stage d’apprentissage.

Les enfants sont fiers de moi, et pas que eux !...

 

 

En effet, ce même jour je reçois un mail de Julien avec une photo de neige dans laquelle est tracé :

 

« TU ES VRAIMENT FORMIDABLE »

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